« Aussi longtemps que les hommes croiront en des absurdités, ils continueront à commettre des atrocités. »
‒ Voltaire.
La première question qui me vient spontanément à l’esprit, lorsque l’on parle du cours Éthique et culture religieuse, est son libellé même : Pourquoi Éthique et culture religieuse? Pourquoi pas Éthique et culture philosophique? Craindrait-on d’exposer les enfants à la philosophie, qui serait un « danger mortel pour l’humanité », disait Nietzsche ? Est-il préférable de maintenir la jeunesse dans le cocon douillet des fables religieuses ? L’éthique et la morale ont-elles leur source dans les religions? Avons-nous besoin de religion pour nous comporter moralement ? Et toutes les religions de ce monde n’ont-elles pas, au cours de l’histoire, agi très immoralement en plus d’une occasion, et ne le font-elles pas encore aujourd’hui ?
Lorsque Jean-Paul II, et Benoît XVI après lui, interdisent expressément l’utilisation du condom dans des pays où sévit le sida, n’est-ce pas là agir très immoralement ? Et quelles raisons invoquent-ils pour ces prêches inhumains ? Parce qu’il est écrit dans un vieux livre que ce serait la volonté divine que « l’œuvre de chair » se fasse sans condom ou truc du genre ? On condamne, sur la foi du même vieux livre, le mariage des prêtres, l’ordination des femmes et le droit à l’homosexualité, ou même encore le droit, selon Jean-Paul II, d’étudier scientifiquement le problème de l’origine de l’univers, qui relèverait de Dieu seul et qui ne serait pas du domaine de la science, selon le Vatican. Que ne croit-on pas dans toutes les religions qui sont un défi au bon sens et à la raison ? Vous croyez, vous, à l’existence de Satan et des anges gardiens ? Les papes infaillibles qui déraisonnent au Vatican y croient, eux, pourtant.
Il me semble utile de rappeler que, contrairement aux religions qui sont en grande partie fondées sur des fables, le but ultime de la philosophie a toujours été la recherche de la vérité et de la justice. C’est pourquoi, comme beaucoup de mes concitoyens, je préfèrerais plutôt que nos écoles offrent une formation basée sur la philosophie, de la première année du primaire à la dernière du secondaire, selon l’approche développée, depuis plus de trente ans, au Mountclair Institute of Philosophy for Children, au New-Jersey, que j’ai eu le plaisir de visiter au début des années 1980; j’avais alors pu rencontrer le fondateur de cet Institut, Matthew Lipman, et étudier cette approche pédagogique pendant le court séjour que j’y avais fait. Le ministère de l’Éducation du Québec a toujours refusé de créer les cours s’inspirant de cette démarche, qui me semble être la « seule valable » pour une formation intégrale de la jeunesse.
Cela dit, il est souhaitable sinon nécessaire, il me semble, que la jeunesse québécoise soit informée de l’existence des grandes traditions culturelles de l’humanité dans des cours gradués d’histoire des civilisations, dans lesquels seraient rappelées toutes les composantes d’une civilisation qui se développent dans le temps: les mœurs, les arts, les techniques, les croyances religieuses, les connaissances, la morale, le droit, l’économie, la politique. Toutes les religions ont marqué à des degrés divers jusqu’ici et de façon indélébile, positive ou négative, toutes les sociétés dans lesquelles elles ont fleuri. Pour la plupart, elles étaient au centre de leur culture. Mais les sciences et un humanisme séculier prennent maintenant la relève, avec lenteur, faut-il dire et le regretter.
Depuis septembre 2008, des cours d’éthique et de culture religieuse remplacent les cours de religion et de morale, qui étaient jusque-là offerts en option aux élèves du primaire et du secondaire. Ces cours sont dorénavant obligatoires pour tous les élèves, sauf ceux du troisième secondaire.
Il tombe pourtant sous le sens qu’on peut développer le sens moral de l’enfant par d’autres moyens que celui qui consiste à leur inculquer les diverses croyances religieuses présentes dans sa société. Ce cours d’Éthique et de culture religieuse n’est qu’une manœuvre pour perpétuer la présence de l’enseignement religieux confessionnel traditionnel dans nos écoles, un détournement d’intention, un retour en arrière sous des dehors de modernité et d’ouverture, un tour de passe-passe, une nouvelle trahison des clercs. En un mot, il s’agit de faire indirectement ce qu’on ne peut pas faire directement.
On nous dit que l’on ne doit pas couper les jeunes de la tradition, qu’il est essentiel qu’ils connaissent la religion de leurs pères et mères, que la religion de la majorité possède des droits, que l’on ne peut vivre sans religion. Pourtant, la tradition change continuellement, depuis qu’il y a des hommes et des femmes qui vivent en société sur cette terre; personne n’interdit aux Catholiques d’enseigner leur credo. C’est dans des cours d’histoire que l’on peut transmettre la connaissance de ce que fut le passé et la tradition. Et c’est aux paroisses qu’il revient de faire connaître le catéchisme aux familles qui le veulent bien; et toutes les religions jouissent de la liberté de défendre et d’illustrer leur foi. La mission de l’école, quant à elle, consiste à former des citoyens aptes à comprendre et à rendre habitable ce monde étonnant dans lequel nous vivons pour un temps.
La croyance religieuse et la croyance humaine ordinaire sont deux choses fort différentes. C’est une chose que de croire en la divinité et la résurrection du Christ, à la résurrection des corps ou à la transmigration des âmes, à la transsubstantiation, à l’immaculée-conception, au péché originel, à la vie après la mort, à un dieu trine, ou encore au supposé miracle à l’origine du centre de pèlerinage du Cap-de-la-Madeleine. C’est une toute autre chose que de croire aux grandes valeurs attachées à la liberté de conscience, aux droits humains, à l’égalité des sexes, à la valeur de la démarche scientifique basée sur des faits et des preuves.
Les croyances proprement religieuses ne sont fondées, en grande partie, que sur des illusions, sur une volonté et un besoin irrépressible, souvent infantile, de croire. Les croyances communes à la base de nos sociétés et de nos savoirs vérifiables sont, quant à elles, le fait d’une adhésion prudente et progressive de notre part.
« Seule une conception du monde qui a accompli tout ce que le rationalisme a réalisé, rappelait Albert Schweitzer, a le droit de condamner le rationalisme. » C’est pourquoi devant toutes les religions de ce monde, il me semble qu’il faut raison garder. La vérité, nous dit-on, nous rendra libres. Cherchons-la, ensemble. Voilà, à mes yeux, la réponse qu’il faut donner aux défis d’un pluralisme démocratique de bon aloi et d’une laïcité ouverte à la raison, à la liberté et à la justice. L’Éducation n’appartient pas à l’État, ni à l’Église, ni même aux parents, elle appartient à l’enfant et à sa future liberté, disait Bakounine.
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