À vingt-quatre heures d’intervalle, au son lugubre des mêmes sirènes qui annoncent la chute probable d’un missile ennemi, les Israéliens, à onze heures du matin, et dans tout le pays, se mettent au garde-à-vous et observent deux minutes de silence. La première alarme marque le souvenir des soldats tombés au combat. La seconde alarme sonne la fin du deuil et le début des réjouissances qui accompagneront, cette année, le soixantième anniversaire d’Israël. Sans transition, comme pour souligner comment la mort et la vie se succèdent d’une génération à l’autre. Une semaine plus tôt, la même sirène avait annoncé le rappelle de la Shoah. L’âme de toute une nation s’exprime dans ce rituel qui interrompt, l’espace d’un moment, le bourdonnement de la vie au quotidien.
La fréquentation quotidienne et systématique de certaines analyses que nous offrent nos médias a un prix et l’effet est cumulatif, toxique même. L’arsenal des clichés, des demi-vérités, des insinuations et des accusations ouvertes ou voilées projette l’image d’un pays aux contours flous, irréels, dénaturés par la réprobation universelle des bien-pensants de ce monde. Ghetto juif avec des visées expansionnistes, régime politique s’apparentant à une théocratie, société d’apartheid retranchée derrière une barrière de sécurité que l’on qualifie erronément de « mur de la honte », effets délétères des lobbys pro-israéliens sur la qualité de la vie démocratique des nations où ils exercent leur influence, voilà autant d’accusations qui, si elles s’avéraient fondées, justifieraient le processus de délégitimisation auxquels s’adonnent volontiers les adversaires de l’État juif.
Mais n’exagérons rien. Des analystes israéliens ont souligné récemment, et avec raison, le ton plus positif que la presse européenne réserve depuis quelques mois au traitement des réalités propres à Israël. Il s’agit là d’un retournement qui tarde, on en conviendra, à se manifester au Québec. Mais les théories et les préjugés les plus tenaces résistent fort bien à l’examen des faits. Les esprits les plus endurcis dans leur rejet d’Israël rétorqueront, quant à eux, que la seule considération objective des faits suffit à saper les bases chancelantes de la propagande mise de l’avant par les défenseurs d’Israël.
Les Israéliens, plutôt que de propagande, préfèrent parler de « hasbarah », un terme à connotation intellectuelle et que l’on pourrait traduire, de façon réductrice et banale, par « explication ». Que faut-il donc expliquer aux esprits réceptifs et soucieux de passer outre aux clichés dont se nourrit une certaine presse moralisante qui ne pardonne pas la faute originelle de l’État juif, sans qu’on la définisse jamais et qui aurait entaché toutes les réalisations à venir de ce jeune État imaginé et reconstruit par un peuple dont les origines remontent à la nuit des temps? Mais à quoi tient donc le caractère juif de l’État d’Israël?
Au risque de choquer ceux qui entretiennent une vision trop théologique d’Israël, il faut citer au premier chef la langue parlée et écrite de la très grande majorité de ses citoyens. Par quel groupe national autre que les Juifs la langue hébraïque fait-elle l’objet d’une revendication? On pourra réclamer des territoires à Israël dans le cadre d’un accord de paix, mais on ne pourra pas exiger des Israéliens qu’ils restituent leur langue en échange de quelque bénéfice que ce soit.
Le caractère juif de l’État d’Israël n’est pas un obstacle à son caractère démocratique et ses habitants ne sentent pas l’obligation de choisir entre ces traits marquants de l’identité israélienne. La réponse des Israéliens, habitués à la controverse, demeure toujours la même : « Nous sommes réels, nous habitons ici et nous resterons ici ». Ni arrogance ni outrecuidance dans cette réplique de l’un des meilleurs analystes de l’actualité moyen-orientale que compte Israël. Il faut plutôt y voir un témoignage de la résilience d’un peuple conscient, certes, de la fragilité de son existence dans un environnement géopolitique hostile mais confiant aussi dans la force qu’il puise dans son attachement aux valeurs de liberté. Valeurs communes, peut-on dire, « shared values » voilà la découverte qui attend le visiteur québécois qui acceptera, comme tant d’autres, de se mettre en mode de découverte de l’image de l’autre moi que peut lui renvoyer l’interlocuteur israélien. Il pourra alors rabaisser le doigt accusateur qui étouffe et rend caduque la critique honnête, celle qui est faite non seulement de bonne foi, mais aussi en connaissance de cause. Cette critique, les Israéliens l’accueilleront volontiers.
Et la puissance attribuée dans nos medias aux lobbys pro-israéliens? Loin de constituer une censure du discours démocratique dans nos pays, ces organisations témoignent précisément des valeurs communes qui unissent Israël aux sociétés qui sont les nôtres. C’est de ce partage de valeurs que les groupes de pression tirent leur efficacité.
La luminescence des paysages de cette terre plusieurs fois millénaire n’apparaît-elle pas comme le reflet annonciateur des avancées technologiques et de la production scientifique, littéraire et artistique d’une société qui a misé sur son capital humain pour se moderniser? Il est permis de rêver à ce que sera demain si la paix, encore à l’état de mirage dans les conférences internationales, devient enfin réalité. On ne trouvera pour ainsi dire pas d’Israéliens qui n’aspirent pas à la paix .Mais on en découvrira peu pour qui les négociations en cours changeront quoi que ce soit à la réalité on the ground et dans un avenir rapproché. Conviction que partagent aussi des représentants de la gauche, comme en témoigne le récent ouvrage de Benny Morris sur la guerre de 1948. Cet historien qualifié de révisionniste, mais partisan des politiques de gauche, affiche son pessimisme quant à la résolution prochaine du conflit israélo-palestinien. Pour lui, comme pour d’autres avant lui, le conflit s’est islamisé au sens jihadiste du terme bien avant 1948. Contrairement au mythe illusoire que continuent de caresser beaucoup d’analystes, le conflit israélo-arabe, dans son noyau le plus dur, n’apparaît pas le résultat de deux nationalismes qui rivalisent pour le contrôle d’une terre, ce qu’il est en partie. On le doit le définir plutôt comme la résultante d’un antagonisme fondamental entre deux conceptions de la vie en société.
Selon l’une de ces deux visions, les Juifs apparaissent comme des usurpateurs infidèles surgis de nulle part pour occuper une terre à vocation essentiellement arabo-musulmane. Dans cette perspective, l’arme du suicide terroriste utilisée contre Israël, même si elle doit mener à la chute d’un régime islamiste en place, est largement sous-estimée dans la presse occidentale. Et vu sous cet angle, le combat que poursuit Israël le propulse au premier rang des puissances engagées dans une lutte à finir contre l’islam radical d’ inspiration jihadiste. En vertu des accords d’Oslo, l’Autorité palestinienne, en reconnaissant de jure l’existence de l’État d’Israël, semblait avoir pris ses distances par rapport à cette logique de violence suicidaire. Aujourd’hui, la seule présence à Gaza d’un gouvernement contrôlé par le Hamas et soutenu par l’Iran fragilise, pour employer un euphémisme, la direction de l’Autorité palestinienne et compromet l’avènement d’un État palestinien .De là à regretter le peu d’enthousiasme démontré par Israël au moment où l’option jordanienne envisagée par le roi Hussein aurait pu être viable, il n’y a qu’un pas et il a été franchi lors des fêtes de l’Indépendance de l’État hébreu par le Président Shimon Peres lui-même. Dans une entrevue accordée au Jerusalem Post, il se surprit à évoquer non sans nostalgie l’option jordanienne dont on peut affirmer qu’elle représente une occasion sans doute ratée à jamais.
À cette vision pessimiste, on peut et on doit quand même opposer la réalité concrète et palpable des accords de paix (froide) qui unissent Israël à l’Égypte et à la Jordanie et l’émergence, dans la presse arabe, de courants de pensée qui ne sont pas étrangers aux valeurs communes défendues en Israël et dans nos sociétés. Mais l’Iran continuera de se situer du côté sombre du tableau, pour les uns et pour les autres.
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