The Métropolitain

Nous sommes tous des femmes afghanes (DATE DE PARUTION 6 MAI 2009)

By Pierre K. Malouf on June 18, 2009

Je l’ai dit dans un précédent article, Obama vient de le confirmer, on ne le répétera jamais assez : si les attentats du World Trade Center n’avaient eu lieu, ni les États-Unis, ni le Canada, ni aucun pays occidental ne seraient intervenus militairement en Afghanistan.  Ce qui se passe actuellement, ce sont les Talibans qui l’ont provoqué naguère en s’alliant à Ben Laden.  L’Afghanistan des Talibans était pour Al-Qaïda une base de lancement pour ses attentats.  Mettons-nous ça dans la tête : ce qui se passe  en 2009 est la conséquence directe de ce qui s’est passé en 2001. 

Auparavant, quand les Talibans se contentaient d’exécuter des femmes dans les stades ou de démolir des statues de Bouddha dans quelque désert lointain, tout ce que nous savions faire, planqués derrières les molles barricades de notre confort établi, c’est de nous indigner pieusement des pratiques dites moyenâgeuses (injure faite à la civilisation raffinée des grands siècles du Moyen-Âge) d’une gang de barbus arriérés dans un pays que personne ne pouvait situer sur la carte.  On ne le martèlera jamais assez : sans les attentats que vous savez, les Talibans auraient pu continuer pendant mille ans d’obliger les Afghanes à porter deux épaisseurs de burqa, les Afghans à se laisser pousser la barbe jusqu’aux métatarses.  Fiers de notre ouverture sur le monde mais le regard fixé sur notre auguste nombril, gavés de poutine et de caviar, nous aurions continué jusqu’à la fin des temps de condamner, mais sans faire quoi que ce soit pour les combattre, la tyrannie et la bêtise de fanatiques aussi inaccessibles que méprisables. 

Ce que je viens de dire, tout le monde le sait, mais personne n’en tient compte quand il est question du maintien ou du retrait de nos troupes.  Tous les autres arguments qu’on nous a servis depuis 2001 pour justifier notre présence là-bas : nous allions implanter la démocratie, construire des écoles et des hôpitaux, améliorer le sort des femmes, et le reste et le reste... n’avaient pour fonction que d’endormir les moumounes que nous sommes. 

Ce sont tous là, comprenez-moi bien, des objectifs louables (montrez-moi le salaud qui s’oppose à ce qu’on permettre aux  petites filles afghanes d’aller à l’école ?), mais secondaires, accessoires, entièrement  tributaires du premier, qui est d’empêcher les Talibans de reprendre le pouvoir.  Que les travailleurs humanitaires qui se dévouent en Afghanistan ne voient dans les vérités de La Palice que je viens d’énoncer aucun mépris pour leur travail éminemment méritoire.  Ils sont les premiers à savoir qu’ils seraient totalement impuissants à améliorer de quelque façon le sort des Afghans et des Afghanes s’il n’y avait une armée dans les parages.  Quand  les soldats seront partis, les travailleurs humanitaires ne sauteront pas sur des bombes artisanales, ils se feront égorger !

Hélas,  le gouvernement d’Hamid Karzaï vient de voter un code de la famille chiite que les Talibans ne renieraient pas.  Cette loi ouvre la porte au viol marital.  Dans ces conditions, notre mission en Afghanistan a-t-elle encore un sens ?  Eu égard  à la raison principale de notre présence là-bas, oui.  Le sort des femmes afghanes serait-il pire ou meilleur si les Talibans reprenaient le pouvoir ? Pourraient-elles manifester leur opposition comme viennent de le faire à Kaboul une cinquantaine de femmes ? 

Je crois donc qu’il faut poursuivre notre mission, mais pas à n’importe quelles conditions.  Qu’est-ce qu’on attend pour équiper correctement nos soldats ?  La réponse est simple : on attend que la population comprenne qu’il faut augmenter les dépenses militaires.  Aussi bien dire qu’on attend la fin du monde.  Jamais la population canadienne, jamais les Québécois, qui, à l’exception notable des Hells Angels, sont des Canadiens plus pacifiques que les autres, n’accepteront que l’on dépense un sou de plus pour notre armée, notre marine, notre aviation.  Que nos fils et nos filles continuent donc de crever dans de vieux chars rafistolés ! 

Comme dit si bien François Charbonneau dans le numéro automne 2008 - hiver 2009 de la revue Argument : « [...] ce sont souvent les mêmes personnes qui souhaitent à la fois que l’Occident intervienne pour empêcher des génocides, comme au Darfour, par exemple, mais qui protestent chaque fois que l’armée canadienne annonce l’achat de nouveaux équipements ».