Il y a soixante ans, le Refus global marquait le début de ce qu’on pourrait appeler l’engagement social des artistes québécois. La « liberté de penser et de créer », prônée par les signataires du Refus, a été peu à peu remplacée par la « quête d’identité », suivie de sa conséquence dite logique de prétendue « libération nationale ». Ce fantasme a depuis été chanté, filmé, joué, poétisé et proclamé de toutes les manières imaginables par une pléthore d’artistes québécois.
À la veille du référendum de 1995, un sondage Léger & Léger indiquait que 80% des membres de l’Union des Artistes appuyaient l’indépendance. Même si leur militantisme semble avoir diminué depuis (il n’y a pas de référendum à l’horizon), l’acteur Marc Béland n’aura pas manqué, lors de la soirée des Masques de 2006 de lancer, sur le ton de l'évidence qui élimine tout doute possible, la fameuse question : « Qu’est-ce qu’on attend pour se faire un pays ? » Les applaudissements béats qui s’ensuivirent nous ont remis en pleine figure l’unanimisme apparent du milieu artistique québécois face à la cause indépendantiste.
Il est tout à fait sain et souhaitable que des artistes se commettent en faveur d’une cause particulière. Leur liberté de parole est cruciale à l'existence d’une société démocratique. Il ne s'agit donc pas de juger du bien-fondé de leur opinion. Par contre, lorsque des créateurs se font un devoir de marcher en rang et de se joindre à quelque concert unanimiste que ce soit, on peut à tout le moins ressentir un malaise… C’est qu’une forte impression de conformisme se dégage des opinions politiques de nos artistes, dont l'exigence de création suppose pourtant un plus grand affranchissement individuel, et par conséquent un désir, sinon une propension naturelle à résister, ou du moins à se distancer d'un discours dominant, fut-il celui de leurs pairs. Le malaise provient aussi de la projection à sens unique, répétitive et aveuglante, d'une perception de la réalité esquissée à gros traits, et qui ne comporte aucune des nuances que l'artiste est censé révéler.
Le malaise s'amplifie lorsque des artistes exprimant des opinions divergentes sur la question nationale sont pointés du doigt. Pensons à Michel Tremblay qui s’était fait traiter de tous les noms quand il avait « osé » questionner le projet souverainiste : les Claude Jasmin, Victor-Lévy Beaulieu et Bernard Landry se sont alors mis à hurler en dénonçant les « hérésies » de Tremblay. Mais était-il au moins hérétique ? Non, puisque Tremblay s’est très vite rétracté en assurant qu’il avait encore la foi, même si, disait-il, le diktat de l’argent le dérangeait. Cet acte de repentance fut vite suivi de la « rémission des péchés », avec un Landry proclamant que, compte tenu de cette précision, il continuerait d’assister aux pièces du dramaturge.
Aussi, est-il besoin de revenir sur le cas de René-Daniel Dubois qui, en 1995, s’était fait traiter par Andrée Ferretti de « pet sec de l'intelligence » et de « lèche-cul de Roch Carrier », et cela pour la simple raison qu’il avait refusé d’obtempérer au mot d’ordre de Madame, qui l’intimait de participer à un livre collectif d’écrivains pour le Oui ? La violence avec laquelle Dubois fut rappelé à l’ordre, tout cela sans qu’aucun artiste ne dénonce cette fatwa soft, laissait croire que le milieu artistique québécois, au mieux se foutait éperdument, et au pire appuyait cette condamnation pour délit d’opinion. Les visions uniques ne sont jamais saines dans une société, surtout quand le conformisme politique s’infiltre dans un milieu composé de gens qui sont censés nous offrir autre chose.
Reste donc aux artistes qui sont fatigués de ce genre d’unanimisme de refuser de se plier aux préceptes et aux mots d’ordre. Parce que soumettre son potentiel et ses énergies créatrices à quelque discours unanimiste que ce soit, aussi réconfortant que cela puisse paraître, c’est renoncer à une partie de ce que signifie être artiste. Se dire fédéraliste n’est même pas une nécessité. Il s'agit simplement de parler de vraie liberté, et aussi de la vivre.